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Un nouveau gouvernement sortira-t-il la Tunisie du chaos?

Depuis la mort de Chokri Belaïd, l’escalade de violence et de crise politique en Tunisie a conduit de nombreux observateurs à se demander si la Tunisie n’était pas au seuil d'une deuxième révolution. A l’heure de la formation d’un nouveau gouvernement, relativement similaire au précédent, ils sont également nombreux à rappeler que, si la Tunisie est gangrénée par la violence, c’est sans doute du côté de l’économie qu’il faudrait regarder.

 

Photo : Magharebia/Flickr / cc

 

La Tunisie est de nouveau dotée d’un Premier ministre. Ali Larayedh a été approuvé par le président Moncef Marzouki, vendredi 22 février. Alors que l’actuel ministre de l’Intérieur dispose d’environ 15 jours pour composer et présenter son gouvernement, il est d’ores et déjà entendu qu’il ne s’agira pas d’un gouvernement de technocrates puisqu’Ennahda a rejeté cette proposition faite par Hamadi Jebali, Premier ministre démissionnaire. Pour devenir officiellement Premier ministre, Ali Larayedh devra obtenir la majorité de l’Assemblée nationale constituante, soit au moins 109 sièges sur 217, une hypothèse très probable puisque Ennahda et ses alliés disposent aujourd’hui de 118 sièges.

Un Premier ministre plus rigoriste que le précédent ?

Alors qu’Hamadi Jebali était réputé modéré, Ali Larayedh est qualifié de digne représentant de la ligne dure du parti. Prisonnier politique torturé sous le régime déchu de Zine El Abidine Ben Ali, il rejette tout rôle politique pour les formations issues du pouvoir précédant la révolution de Jasmin.

Il est alors légitime de se demander si le futur gouvernement sera en mesure d’apporter au peuple tunisien les réponses aux revendications de la rue, émergées depuis l’assassinat de Chokri Belaïd, ferme opposant politique au gouvernement islamiste en place.

Un nouveau gouvernement sans changement

Car la Tunisie semble actuellement, au grand dam d’une grande partie de l’opposition, emprunter le même chemin que certains considèrent comme voué à la perte du pays.

Le gouvernement actuellement en composition serait, selon plusieurs observateurs, un copie conforme du précédent, de quoi attiser la colère de la rue tunisienne.

Pour Mourad Sellami, dans le quotidien El Watan, les acteurs politiques de ce prochain gouvernement seront bel et bien les mêmes.

« Malgré les déclarations émanant des dirigeants d’Ennahda, annonçant l’élargissement de la troïka à une alliance de cinq groupes politiques (Ennahda, CPR, Ettakattol, les blocs Wafa et Liberté et dignité), les observateurs sont plutôt convaincus qu’on est en train de reprendre les mêmes acteurs politiques au niveau du gouvernement, » indique-t-il avant de s’interroger sur l’avenir de la Tunisie, qui traverse un regain de crise violent, deux ans après la révolution de Jasmin.

« Ainsi, les mois de tractations et le blocage politique n’ont pas du tout inspiré les leaders afin de trouver une issue vraiment consensuelle pour le pays. Que va-t-il donc changer ? »

L’opposition reste engagée

Une chose est sûre, l’opposition en place reste fermement mobilisée et la mort de Chokri Belaïd ne restera pas sans conséquences. Le porte-parole officiel du Front populaire (FP), organe politique auquel appartenait Chokri Belaïd, Hamma Hammami a insisté dimanche 24 février sur l’action de l’opposition comme rempart à la politique du gouvernement.

Hamma Hammami a fait savoir que « la Tunisie demeurera au-dessus des partis et que la situation grave que vit le pays sur les plans économique, politique, sécuritaire et social, ne doit pas se prolonger»

Car selon ce dernier, un changement à la tête de l’Etat ne fera pas tout et l’impératif, aujourd’hui, sera de mettre fin à la violence qui a pris de l’ampleur ces dernières semaines, a-t-il rappelé.

La crise économique comme terreau de la violence

Derrière cette violence, la situation économique du premier pays du Printemps arabe est constamment mise en avant.

L'Association des économistes tunisiens (ASECTU) a publié, dimanche 24 février, un communiqué afin d’attirer « l'attention sur la gravité de la situation économique et sociale et des finances publiques qui prévaut en Tunisie. »

« La classe politique en général, et le gouvernement en particulier, doivent comprendre que cette situation préoccupante est le fait de la détérioration de la situation politique et sécuritaire, et de la perception de l'absence d'Etat de droit, » indique l’association avant d’engager le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour relever la Tunisie.

« La période actuelle exige un engagement clair et ferme de la classe politique sur la mise en œuvre d'une feuille de route dont l'élaboration se fera d'une façon consensuelle entre toutes les parties prenantes et sans exclusion aucune. »

Le coût de la vie et le chômage ont fait exploser l’insécurité

Le bilan tunisien rappelé par l’association ne laisse que peu d’espoir pour une sortie de crise rapide en Tunisie.

« Le chômage a augmenté sensiblement, le coût de la vie, surtout les prix des produits de consommation de base, s'est envolé, » indique l’ASECTU pour qui les maux tunisiens sont la cause de cette violence qui gangrène la société.

« L'insécurité et la violence, phénomènes étrangers à la société tunisienne, se sont répandues et, enfin, les services publics sont en nette détérioration, en raison d'un ralentissement général de la plupart des services de l'administration centrale et locale. »

« La Tunisie continuera de se battre »

Pour Asma Nouira, enseignante-chercheuse en sciences politiques à la faculté de droit à l’université el-Manar de Tunis et ex-membre de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, interrogée par le quotidien libanais l’Orient Le Jour, la Tunisie n’est pas dans une deuxième phase révolutionnaire, elle n’est tout simplement pas encore sortie de sa révolution de Jasmin.

« À aucun moment les gens ne se sont stabilisés. C’est une continuation, et non pas une première (révolution) qui s’est terminée et une seconde qui commence. Les choses ne sont pas rentrées dans l’ordre, ni avec le premier gouvernement de Mohammed Ghannouchi ni avec celui de Béji Caïd Essibsi. On est en train de tourner en rond. Pour les Tunisiens, il n’y a pas eu d’améliorations, on va même de mal en pis : cherté de vie, instabilité... Il y a beaucoup de pessimisme, et beaucoup de gens ont perdu espoir, surtout dans les régions où la révolution a commencé, qui ont beaucoup sacrifié sans rien recevoir en retour. »

Asma Nouira l’affirme : « la Tunisie continuera de se battre. »

Car « une transition par définition est synonyme de troubles. La situation, économique notamment, est très difficile et continue d’empirer, mais cela est tout à fait normal. Il faut juste espérer que cette période se terminera le plus rapidement possible et de la façon la moins coûteuse, au plan humain surtout. Le pays se retrouve face à une intersection, donc tout est possible à ce stade. »

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