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“Nous sommes un acteur positif dans l’économie du pays”

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Le 15 mars, interview réalisée par Hédi Mechri et Mohamed Ali Ben Rejeb


 

    *Cet article a été publié dans l'Economiste Maghrébin paru le 8 février*

W. Bouchammaoui a pris en main les destinées de l’Utica par temps d’orage et au moment où la révolution a entrainé la réorganisation de certaines structures, fortement marquées par l’empreinte de l’ancien régime. Il était donc difficile de faire l’unanimité dans les rangs de la centrale patronale en pleine crise, en raison même de la persistance des mouvements sociaux.  Mais le « patron des patrons » demande aujourd’hui que les tensions s’apaisent et qu’on en finisse avec la haine et les rancœurs. Elle soutient que les erreurs du passé ne doivent en aucun cas grever le travail « colossal » que l’organisation est en train de faire pour construire l’avenir. En responsable ayant le souci de fédérer les efforts, elle s’engage résolument à programmer des rencontres avec la centrale syndicale  pour sortir des affrontements occasionnés notamment par les revendications salariales.
Mme Wided  Bouchammaoui avance à visage découvert, elle n’occulte pas les difficultés,  elle dit tenir désormais le langage de « la vérité ».  Preuves à l’appui ...

L’Economiste Maghrébin : Après le 14 janvier, la centrale syndicale a failli imploser. La contestation est venue plus de l’intérieur que de l’extérieur. Comment expliquez-vous les troubles qui ont secoué l’Utica ?
Wided Bouchamaoui : Avec la révolution, tout le monde a cru que tout était permis.  On a voulu tout revoir sans avoir de vision claire.
Je ne suis pas contre les contestations, je suis pour les avis contraires, encore faut-il qu’ils soient basés sur quelque chose de bien fondé. Accuser quelqu’un, vouloir l’exclure, ne doit pas se faire sur un coup de tête, dans le simple but d’obtenir un poste ou une responsabilité.
Ce que nous avons essayé de faire, c’est de dépasser les contestations pour redonner l’image qui doit être celle de l’Utica, celle d’une organisation qui est aussi une force de proposition apolitique. A ce propos, c’est vrai, comme le pensent certains, la centrale a été  quelque peu politisée. Mais le passé est ce qu’il est. Il y a ceux qui ont fait certaines erreurs, mais il y a aussi des choses positives qu’il ne faut pas aussi oublier.
Ceux qui se sont succédé à l’Utica, ont tous eu du mérite, et ce serait quelque part malhonnête de ne pas le reconnaître. Je n’aime pas ceux qui jouent au jeu des accusations. J’aurai pu le faire puisque je détiens les archives de la centrale. Mais pour moi, c’est une question d’éducation.
Je suis de ceux qui pensent qu’il faut positiver. On doit retenir les leçons du passé et penser à l’avenir, penser à débarrasser l’Utica de toute affiliation politique. Chacun est libre de militer dans un parti politique, mais au sein de l’institution, nous devons tous être, comme je l’ai dit, apolitiques. Nous sommes un syndicat patronal, nous défendons les intérêts des patrons, tout en étant des acteurs de l’économie tunisienne.
Par ailleurs, nous avons de très bonnes relations avec nos homologues étrangers.


Quels sont, alors, vos rapports avec la politique ?
Personnellement, je pense que le politique ne peut réussir qu’avec la participation active du secteur privé. Il faut travailler, la main dans la main, mais chacun de son côté, sans mélange des genres.
Nous sommes sur le terrain, c’est à nous de dire au politique ce que les hommes d’affaires attendent, comment faire pour employer les gens, être une entreprise citoyenne, alléger la bureaucratie, amener l’investisseur étranger, réformer le système éducatif et sur quels aspects la formation doit être axée. C’est notre rôle.
4 Vous avez créé, à cet effet, un certain nombre de commissions.
4 A l’Utica, nous faisons un travail de groupe. Nous sommes toute une équipe.
Je signale, à ce propos, le travail extraordinaire fait pas la commission économique. Ses membres sont en train d’élaborer un programme économique. Je ne dirais pas qu’il est parfait, mais il résume parfaitement la stratégie du patronat pour l’économie tunisienne. Un rapport qui sera, je pense, publié d’ici la fin de ce mois et qui tracera les grands axes du projet patronal.
Nous avons créé aussi une commission sociale qui fait un travail colossal. Mais tout cela reste un peu méconnu, du fait que, malheureusement, on ne communique pas assez sur nos actions. 
Nous avons toujours été  proches  des entreprises qui ont eu des difficultés sociales. Et Dieu sait combien il y en a ! Que de fois sommes-nous intervenus pour calmer les tensions. Pour autant, notre message aux entreprises est claire : si on les défend, il faut être en règle, assumer ses responsabilités, respecter le code du travail. Ce n’est pas notre vocation de défendre ceux qui sont hors la loi. C’est là notre vocation sociale, et c’est là le travail que fait la commission sociale.
Autre nouveauté, nous avons ouvert nos portes aux entreprises étrangères. On a multiplié les réunions avec ces dernières, qui s’adressent de plus en plus à nous.


A ce propos, y a-t-il des nouveautés pour les entreprises étrangères ? Peuvent-elles, désormais, être logées sous l’enseigne de l’Utica ?
Les entreprises étrangères ont toujours eu le droit d’adhérer à notre organisation. Et puis, personnellement je suis contre la distinction entre  entreprises tunisiennes et entreprises étrangères. La seule différence, c’est que les entreprises étrangères n’ont pas le droit de se présenter à la présidence de la centrale.
La nouveauté, que je viens d’évoquer, est qu’on vient de les impliquer à travers des chambres mixtes avec lesquelles nous avons eu des réunions en présence du président de chacune d’entre elles. Je leur ai expliqué qu’on n’est pas en compétition et que chacun a son propre rôle.
L’Utica est une organisation syndicale. Sur le plan social, nous sommes mieux outillés. C’est l’Utica qui signe tous les accords sociaux et c’est elle qui peut transmettre les doléances de ces chambres  qui peuvent, ainsi, se consacrer à leur principal rôle (commercial). L’encadrement réel, c’est nous.
Le message est passé; les entreprises étrangères nous ont fait part de leurs problèmes et on s’est déjà attelé à les traiter.
J’ai d’ailleurs tenu le même discours avec les ambassadeurs concernés en leur expliquant que nous sommes les mieux à même de résoudre les problèmes sociaux des entreprises étrangères. Je peux vous assurer que nous avons réussi à résoudre beaucoup des problèmes sociaux que les entreprises étrangères ont rencontrés. Les fois où on ne l’a pas fait, c’est lorsque nous n’en avons pas eu connaissance.


L’Utica aurait donc un problème de communication ?
C’est vrai que c’est notre point faible. L’Utica ne communique pas, ou très peu, et je l’ai toujours dit.
J’ai l’impression que tout le monde a peur de communiquer et il est évident qu’il faut changer cette mentalité. Cela concerne la centrale, mais aussi les chefs d’entreprise qui optent parfois pour la discrétion. 
C’est là un fait, il faut désormais voir les choses autrement, devenir plus agressif. Ce n’est pas qu’on veuille se vanter, mais c’est pour montrer la vraie image de l’Utica et montrer aux gens qu’on est là pour le bien des entreprises, de l’économie et du pays.
On ne l’a pas fait jusque-là, il y avait d’autres urgences. Il fallait d’abord remettre de l’ordre dans la maison avec surtout, l’organisation des élections au niveau des structures qui ont été toutes, ou presque, renouvelées. Il y avait aussi le problème des entreprises qui ont connu des dégâts après la révolution. Il fallait également reformuler nos rapports avec les autorités et les convaincre de notre volonté de participer à la vie économique.
Il y avait beaucoup de priorités et le temps passe vite. Une année, c’est très peu. Certaines choses n’ont pas été faites, ou du moins, pas comme on l’aurait voulu. La communication en fait partie.


Comment avez-vous vécu le renouvellement des structures ? Est-ce que cela a  été une réussite ?
Ce fut un travail colossal, une vraie guerre aussi. Nous avons tout renouvelé : 1600 chambres, 24 unions régionales, 17 fédérations et 250 chambres nationales.
Cela a pris du temps et a nécessité beaucoup d’efforts, mais ce que je peux assurer, c’est que c’étaient de vraies élections démocratiques. Tous ceux qui ont été élus, l’ont été à travers les urnes. De plus, c’étaient des élections ouvertes à tous. On a ouvert nos portes même à ceux qui n’étaient pas adhérents avant 2011, pour une raison ou pour une autre, et ils ont pu se présenter du moment qu’ils ont payé leur adhésion pour l’année en cours.


Outre les entreprises étrangères, les entreprises publiques souhaitent aussi être prises en charge par l’Utica. Est-ce que vous y pensez ?
J’ai eu, en effet, cet écho. Je réponds que plus on est nombreux, plus on est structuré, plus on est fort, plus on est capable de faire avancer l’Utica et le pays. J’irai encore plus loin en disant qu’aujourd’hui, le partenariat entre le secteur privé et public est devenu inévitable. Je suis tout à fait pour.


Vous avez évoqué l’importance de l’entreprise citoyenne. On ne peut pas nier, toutefois, que l’image de l’entreprise tunisienne a été fortement mise à mal par certaines pratiques. Comment allez-vous réagir contre certains chefs d’entreprises «voyous» ?
J’ai confiance en la justice tunisienne. Si la justice se prononce contre tel ou tel chef d’entreprise et qu’on a les preuves de sa culpabilité, eh bien, il est clair qu’il faut le punir et ce n’est pas moi qui le défendrait.
Je ne défendrai jamais une entreprise qui n’est pas citoyenne, un chef d’entreprise qui ne respecte pas la loi ou celui qui ne paye pas ses impôts. Loin de là. Ce n’est pas de mon ressort de le juger, mais ce n’est pas à moi aussi de l’aider.
Par contre, ce que je demande, à vous en tant que médias, et au peuple tunisien, c’est de faire la part des choses et de laisser la justice faire son travail. Dans le même foyer, on peut trouver des personnes honnêtes et d’autres qui le sont moins. Faut-il pour autant mettre tout le monde dans le même sac ? Il ne faut pas accuser un homme d’affaires par principe, uniquement  parce qu’il a de l’argent. Si  on continue à le faire, on n’avancera jamais. Si le Tunisien n’investit pas parce qu’il a peur, comment l’étranger va-t-il le faire ? Pourquoi, moi, étranger, j’irai investir dans un pays où les locaux refusent de le faire ?
Je l’ai dit et je le redis. Il y a des gens qui ont profité de l’ancien système. Mais ils sont une minorité. Qu’on les juge et qu’on en finisse. Il faut en finir avec cette suspicion générale qui laisse les mains liées à tout le monde. Sinon, qu’on mette tous les hommes d’affaires en prison et qu’on vide le pays ! Qui va, dans ces conditions, investir, qui va soutenir l’économie ? 
Pour conclure, je dirai qu’on ne peut pas élever notre jeune génération avec ce sentiment de haine et de rancœur. Cette haine qu’on cultive chez les jeunes est insupportable et inadmissible. Et là, je ne parle pas seulement des hommes d’affaires. Vous aussi, les médias, vous êtes mal à l’aise. Vous êtes assaillis  de partout. C’est aussi le cas des juges, des policiers et j’en passe. Tous les corps de métiers sont pointés du doigt. Pourquoi tout cela. Nous sommes tous des Tunisiens et nous aimons tous notre pays.


Ne faut-il pas travailler davantage à faire changer les mentalités, faire un travail pédagogique pour rendre, précisément, nos entreprises encore plus citoyennes ?
Cela va sans dire. Il est évident qu’il faut inculquer cet esprit citoyen à nos entreprises. Encore faut-il que l’effort soit partagé. Il faut, par exemple,  que le chef d’entreprise paye ses impôts. Il faut aussi revoir la fiscalité pour faire en sorte qu’elle ne devienne pas une charge insupportable.


Pensez-vous donc qu’on peut relancer l’économie avec les charges fiscales et sociales actuelles ?
Si, aujourd’hui, on veut parler de création d’emplois, il faut tout revoir. Le code des investissements, les incitations fiscales… Aujourd’hui, dans la situation où nous sommes, pourquoi voulez-vous qu’un Tunisien ou un étranger investisse, notamment à l’intérieur du pays, si on ne lui envoie pas des signaux forts.
C’est vrai qu’avant, il y avait une mainmise sur l’économie, un sentiment de peur. Mais tout cela a changé. Seulement, il y a aujourd’hui de nouveaux défis et au premier plan, l’emploi. Pour cela, il n’y a pas plusieurs choix. Il n’y en a qu’un : il faut de  vraies incitations pour les investisseurs.
Le calcul est simple à faire. Si on diminue les taux d’imposition, si on accorde des subventions, le manque à gagner de l’Etat sera comblé par les emplois qui vont être créés et par la dynamique économique induite dans les régions. Je reste persuadée que dans cette équation, en relançant l’économie, c’est l’Etat qui va être le meilleur gagnant.
Faisons venir des entreprises étrangères, donnons-leur des exonérations d’impôts, elles créeront des emplois. Il ne faut pas faire de petits calculs. Lorsqu’on a signé l’accord de libre échange avec l’UE, tout le monde a crié au désastre. Aujourd’hui, on sait que c’était tout bénéfice pour notre économie. Il faut s’ouvrir vers l’extérieur. Ce n’est pas qu’on veuille vendre la Tunisie, mais c’est qu’on est conscient que la Tunisie ne peut vivre qu’ouverte sur  l’extérieur, comme elle l’a toujours été.
En fait, ce que je demande au gouvernement, c’est de transmettre des messages forts à travers des décisions audacieuses pour que les gens viennent investir. Il faudra, à ce propos, peut-être, oublier les engagements partisans et penser à l’Etat. Lorsqu’on est dans un gouvernement, on ne travaille plus pour un parti,  mais pour le pays.


La Tunisie doit s’ouvrir à l’extérieur. Dans ce cadre, le Maghreb doit-il être notre priorité ?
Qu’on parle d’économie ou d’emploi, il faut se dire, une fois pour toutes, qu’on ne peut avancer sans s’ouvrir aux pays limitrophes. Il faut oser ouvrir les frontières. Il faut oser réactiver le Maghreb arabe. Sans nos pays voisins, on sera asphyxié. Il faut le dire, ne pas cacher la vérité.
D’ailleurs, je l’ai dit lors de ma visite en Libye avec le président de la République. Nous, secteur privé, nous ne demandons rien. Tout ce que nous voulons, c’est de nous assurer les trois libertés : la liberté de circulation des marchandises et des  individus ; la liberté d’investissement et la liberté de propriété.
Qu’on nous assure tout cela, et qu’on nuos laisse travailler. Lorsque je veux ouvrir une banque ou une entreprise en Libye, qu’on ne vienne pas me demander d’où vient l’argent.
C’est la Libye et l’Algérie, nos voisins qui représentent l’avenir. C’est vrai que l’Europe reste notre premier partenaire, qu’il faut travailler pour  développer ce créneau et le faire fructifier, mais il ne faut pas oublier que l’Europe est malade aujourd’hui. Elle souffre. La preuve : a-t-elle tenu toutes ses promesses envers la Tunisie tout au long de 2011. Il y a eu ce ballet diplomatique, mais rien de concret.
Il faut aujourd’hui s’ouvrir vers de nouveaux marchés et aller au-delà du Maghreb arabe ; il y a aussi l’Afrique qui offre d’excellentes opportunités.  Tout ce qu’il faut faire pour réussir est de réactiver nos ambassades. Il faudra créer des antennes avec des gens compétents, qui comprennent les rouages de l’économie, qui maîtrisent leurs dossiers. Pour ces postes, on n’a pas besoin d’hommes politiques. Laissons l’économie indépendante du politique. Chacun doit faire son travail et le travail d’un expert en économie n’est pas celui d’un homme politique.

 

L’Utica suscite jusque-là peu d’enthousiasme de la part des grands patrons et présidents de grands groupes qui ne se reconnaissent pas dans ce vaste rassemblement hétéroclite (petits métiers, artisans…). L’Utica peut-elle évoluer dans ce sens, dans le but de les fédérer ?
Personnellement, je suis ami avec tous ces patrons. De par notre amitié et de par le respect mutuel, je les ai tous invités ici ; ils ont tous répondu présents et ils étaient tous prêts à faire partie de l’Utica. On s’est promis d’approfondir la chose, mais j’avoue que les problèmes du quotidien ont fait un peu traîner les choses. Mais je reste convaincue qu’il faut continuer dans ce sens.
Il faut être juste. Chaque fois que j’ai fait appel à eux pour participer à l’une de nos manifestations, ils ont été au rendez-vous. C’est la preuve qu’il n’y a pas de problème de fond.
Et puis, même s’ils ne veulent pas vraiment être dans les structures, je leur  propose d’être notre think-tank, qu’ils soient pour nous une force de proposition.
Tout cela pour dire qu’on est ouvert à tous et qu’on comprend les positions de chacun. D’ailleurs, on réfléchit, dans le cadre de la restructuration du patronat, à la mise en place d’une structure pour ces grands groupes pour qu’ils puissent intervenir. Mais l’Utica ne peut pas oublier qu’elle est une organisation nationale.   Historiquement, l’Utica a commencé avec les petits métiers et ce n’est pas aujourd’hui que je vais, moi, effriter l’Utica. Je veux être quelqu’un qui rassemble, qui fédère tout le monde, tous les métiers sans exclusion. 


Vous venez d’évoquer l’emploi. Pensez-vous que le gouvernement peut tenir ses promesses ? Pensez-vous qu’on pourra, offrir, à échéance rapprochée, 450.000 emplois ?
Je pense qu’il faut oser dire aux gens la vérité sur la situation économique du pays et ses potentialités, et sur ce que le pays  peut réellement offrir en termes d’emplois réels. Il ne faut pas les leurrer et se leurrer soi-même en même temps. Il ne faut pas donner aux gens de faux espoirs.
Lorsqu’on promet le plein emploi dans un an et qu’on ne tient pas ses promesses, on ouvre grandes les portes à une seconde révolution. Il faut dire aux gens de quoi nous sommes capables. Leur dire que notre petit pays ne peut tout seul offrir autant de travail. Qu’il va falloir patienter, dans l’espoir d’amener des investisseurs étrangers.


Pour toutes ces suggestions, avez-vous trouvé une certaine compréhension de la part des autorités ?
Absolument. J’ai été reçue à plusieurs reprises aussi bien par le président de la République que par le chef du Gouvernement.
On s’est même mis d’accord, avec M. Jebali, sur l’organisation de réunions continues de suivi des dossiers. Pas forcément avec lui, du moins avec un représentant du Gouvernement.
En tout cas, et en ce qui nous concerne, nous avons toujours dit, que ce soit avec M. Marzouki ou avec M. Jebali, ce que nous pensons en toute sincérité. La vérité telle que nous la voyons.


Que pensez-vous du pluralisme patronal et syndical. N’y aurait-il pas risque de surenchère ?
Je suis ouverte au pluralisme, encore faut-il savoir ce qu’on veut à travers ce pluralisme. Si c’est pour contrer l’Utica, je ne pense pas que ce soit le bon choix. Et puis, il faut toujours se dire que ces nouveaux syndicats, qu’ils soient patronaux  ou ouvriers, ne représentent pas la majorité.
L’Utica reste l’unique représentant des patrons et du secteur privé tunisien. C’est nous qui signons avec l’Ugtt et le Gouvernement tous les accords de négociations sociales. De fait, légalement, tous les autres sont des associations et ne peuvent représenter officiellement les patrons.
Cela n’empêche qu’ils ont le droit d’exister et que leur présence montre que nous sommes des gens mûrs. Tout doit être fait dans les règles de l’art. Si c’est pour apporter un plus, eh bien tant mieux, mais si c’est pour faire de la surenchère, cela ira à l’encontre de l’intérêt du pays.


Quels sont aujourd’hui vos rapports avec l’Ugtt ?
J’ai senti, ces derniers temps, une certaine ouverture de l’Ugtt. Une volonté d’écouter.
J’ai, à ce propos, demandé à ce que nous tenions des réunions périodiques avec la centrale ouvrière, au-delà des négociations sociales, pour discuter de ce qu’il faut faire pour le pays et échanger les avis, indépendamment du Gouvernement.
L’idée est que tous les acteurs sociaux doivent aujourd’hui travailler ensemble. Nous n’avons pas vraiment le choix. Il faut le faire et laisser le Gouvernement travailler dans la sérénité.
En ce qui concerne les autres syndicats ouvriers,  j’ai la même approche que pour le pluralisme patronal. Il faut savoir ce qu’on veut à travers ce pluralisme. Encore une fois, si c’est pour faire de la surenchère, personne n’y gagnera. Nous serons tous perdants.
J’ai eu des contacts avec des chefs d’entreprises et des délégations étrangères, ils disent tous être gênés par ces mouvements de grèves. La Tunisie veut créer des emplois. Or ceux que j’ai rencontrés disent que c’est déjà un miracle de garder les emplois actuels. La patience a des limites. Ces chefs d’entreprises ont des engagements qu’ils doivent respecter. Après tout, il y a aujourd’hui des pays qui offrent une meilleure opportunité et qui sont en train d’exploiter notre défaillance en ce domaine. C’est le cas du Maroc par exemple.


Comment voyez-vous l’année 2012 ?
Ce sera difficile. On aura, cette année, à payer toutes les grèves et les sit-in qui ont eu lieu en 2011. En 2011, on a vécu avec les réserves de 2010. De plus, avec la poursuite de ce climat social, de cette suspicion générale, je ne vois pas comment on pourra convaincre les investisseurs à faire l’effort pour 2012. 


Il y a aujourd’hui des interrogations sur l’avenir des entreprises confisquées. Quelle est votre position sur ce sujet ?
J’avais, dès le début, donné mon avis à l’ancien ministre des Finances M. Jalloul Ayed. Pour moi, ce qui est en train de se passer est une forme d’anarchie. C’est d’autant plus le cas qu’elles ne sont pas gérées par des gestionnaires. Elles sont en train de perdre de leur valeur. On dit que l’Etat a besoin de liquidité. Et bien, qu’il vende ces sociétés. Qu’il les mette en Bourse et qu’il fasse de cet argent quelque chose de plus utile pour le pays. J’ai déjà rencontré certains des administrateurs de ces entreprises. Ils m’ont tous dit qu’ils ne pouvaient rien faire. Qu’ils avaient les mains liées , qu’ils ne peuvent même pas contracter des crédits pour investir.
Une décision doit être prise et maintenant.  Chaque jour qui passe, c’est de l’argent perdu. L’Etat qui aurait pu gagner tant d’argent va voir cet argent diminuer au fil des jours.
Vendre ces sociétés est aujourd’hui l’une des revendications principales de l’Utica. Il faut vendre et vite d’autant plus qu’il n’y a pas, parmi elles, des entreprises stratégiques que l’Etat ne pourrait pas céder. Et même si on a peur, comme on dit, qu’elles puissent être reprises par des gens douteux, on n’a qu’à le vérifier en lançant des appels d’offres. Mais il y a beaucoup de Tunisiens intègres qui veulent acheter. Ces entreprises ont déjà perdu une année. Or, pour une entreprise, une année c’est beaucoup. Une année pour transiter vers une démocratie, c’est rien. Pour une société, c’est une éternité.


On parle déjà du congrès de l’Utica. Ce sera pour quand ?
Ce sera pour le mois de juin. C’était prévu pour le mois de mars, mais comme il y a des structures qui n’ont pas encore été renouvelées pour des raisons de sécurité comme à Kasserine et Sidi Bouzid, on a préféré prendre le temps qu’il faut. De plus, nous avons constitué des commissions de vérification  indépendantes pour étudier tous les dossiers.


Une femme à la tête du patronat serait le vœu de plusieurs hommes d’affaires. Est-ce que Mme Wided Bouchammaoui sera candidate ?
Je suis fière de travailler à l’Utica et c’est un honneur pour moi. Mais je vous fais une confidence. Cela n’a pas été un cadeau facile. En acceptant de le faire, au début, je pensais que ce serait pour deux mois et à mi-temps. Maintenant, cela fait près d’un an et je travaille plus de 12 heures par jour. Je le fais avec le consentement de ma famille qui s’occupe désormais de mes affaires pour lesquelles je n’ai plus le temps qu’il faut.
Lorsque j’ai pris en main l’Utica au lendemain de la révolution, on me disait que j’étais quelque part un peu inconsciente. Ce n’était pas, en effet facile, mais ma foi et ma confiance en mes capacités, m’ont aidé à réussir le défi. Beaucoup ont essayé de me mettre les battons dans les roues, mais ils n’ont pas réussi. Mais comme le dit si bien un proverbe de chez nous « il ne reste de la rivière que son lit».
Je suis issu d’une famille très combattante, attachée aux valeurs de l’éducation, qui respecte tout le monde et qui refuse d’utiliser certaines pratiques de langage ou autres. Je ne peux pas me rabaisser à ce niveau. J’aurai pu le faire. Les archives de l’Utica en sont pleines. Ce n’est pas Wided Bouchammaoui qui dira à quelqu’un qu’une semaine avant le 14 janvier, vous financiez encore Ben Ali. Les complots de bas niveau, je ne connais pas. Mon éducation m’a appris à travailler en mon âme et conscience. Si je me suis trompée, je l’ai fait en bonne conscience et par manque d’expérience. Mais je me dis que ce que je suis en train de faire est quelque part ma contribution à ce pays que j’aime, pour faire réussir cette révolution.
Je dis aussi que si quelqu’un a des griefs contre moi, qu’il le dise ouvertement. Je ne suis pas contre les critiques, mais contre le fait qu’on le fasse dans les recoins et dans un seul but, pour avoir le « siège », comme on dit chez nous. Je refuse ces pratiques. D’ailleurs, je ne suis jamais intervenue dans aucune des élections des structures régionales. Je ne peux que saluer ce qui est choisi par la base, démocratiquement.


Il y a eu quelques remous à propos de la journée organisée par les femmes chefs d’entreprises, notamment à cause de votre absence. On dit même que vous êtes intervenue pour faire échouer cette manifestation. Quelle est votre réponse ?
En tant que présidente de l’Utica, je n’ai pas été saisie officiellement. De plus, et on le sait tous, le 17 janvier, je n’étais pas en Tunisie. On dit que je suis intervenue pour que certains ministres dont le chef du Gouvernement, n’assistent pas à cet événement. Je ne savais pas que j’étais aussi importante et que je pouvais dicter à des ministres ce qu’ils doivent faire.
Mais maintenant qu’on évoque le sujet, je dirai que cette manifestation a été organisée avec des arrière-pensées électorales. C’était une campagne électorale. Ce n’est pas un hasard si le colloque a été organisé le 17 janvier et que le 21, se tenait l’Assemblée générale des Femmes chefs d’entreprises.
Mais qu’on m’accuse, cela ne me touche plus. Tous ces commérages  ne me concernent pas. S’il s’agit de programme économique, de propositions positives, tant mieux, j’adhère et je cèderai ma place volontiers.
Comme je l’ai dit plus haut, il y a aujourd’hui des gens qui veulent du mal à l’Utica et qui sont gênés par sa réussite. Tout comme ceux qui ne veulent pas que la Tunisie se stabilise, qu’elle prospère et qui font tout pour qu’elle échoue.
Pour l’Utica. Ils sont à peu près une dizaine à vouloir l’affaiblir pour briguer la présidence. Je leur ai dit : toutes les portes sont ouvertes, mais qu’on le fasse d’une manière civilisée. J’encouragerai tout président de l’Utica qui sera élu démocratiquement, sans coup bas. Ce qui me désole, c’est qu’on est en train de mettre cette structure en danger et c’est  minable. Ce n’est pas normal.
Et puis, il faut qu’aujourd’hui certaines personnes s’éloignent. Mon éducation ne me permet pas de le leur dire, mais je pense qu’il est temps qu’ils le comprenne tout seuls.


Vous n’avez pas répondu à la question. Que répondez-vous à tous ceux qui vous demandent de vous présenter à la présidence de la centrale lors du prochain congrès ?
«Inchallah», encore faut-il qu’on nous laisse travailler dans la sérénité. Une confidence pour vous, aujourd’hui je passe  plus des deux-tiers de mon temps à régler des problèmes futiles. A croire qu’on le fait exprès. Chaque fois qu’on avance sur un dossier, on nous invente de nouveaux problèmes pour nous mettre les battons dans les roues. J’accuse ces dix personnes, les mêmes qui, à chaque fois, le font pour que je m’enlise dans  le quotidien et que je n’arrive pas à avancer sur les sujets les plus importants. Histoire, aussi, de montrer leur force. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que cela ne fait que renforcer la force et la foi que j’ai en moi. Ma conviction aussi est qu’on ne récolte que ce que l’on sème.


Un dernier message.
Je dirai d’abord que l’Utica est toujours ouverte à toute personne qui veut donner un plus, qui veut participer à l’essor économique du pays , sans aucune considération au corps de métier auquel elle appartient.
Je plaide pour une entreprise citoyenne et je ne défendrai que l’entreprise citoyenne.
J’appelle à un pacte social. Il faut réussir la paix sociale. Nous, patronat et syndicat, devons résoudre ensemble les problèmes d’aujourd’hui.
Aux autorités d’envoyer des signaux forts et immédiats à l’endroit des investisseurs, tunisiens et étrangers. Il faut rétablir cette confiance chez l’homme d’affaires qui n’est pas un voleur par principe. Il faut changer cette mentalité.  Les chefs d’entreprises sont très sensibles. Donnez-nous un signal fort et vous allez voir ce qu’on est capable de faire.
Et je dirai, enfin, aux médias qu’il faudra vérifier l’ information avant de la  publier. Je leur dirai aussi qu’il faut prendre en compte l’image de la Tunisie. Pourquoi voulez-vous par exemple qu’un touriste vienne en Tunisie si nous lui donnons une mauvaise image, en ne parlant que des faits divers.

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