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S’en sortir grâce à nos ordures ?

La Tunisie est le troisième pays au monde à avoir intégré la protection de l’environnement dans sa constitution. La loi fondamentale de 2014 stipule dans l’article 45que “l’Etat doit garantir le droit à un environnement sain et équilibré et la participation à la sécurité du climat. Il se doit de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution environnementale”. Le réchauffement climatique est un fait et a déjà commencé à nous affecter. La sécheresse exceptionnelle de l’été 2014 où la récolte agricole a baissé de près de 32% en atteste. Si l’on n’agit pas dès maintenant, les catastrophes climatiques vont se multiplier et la vie sur terre telle qu’on la connaît à présent sera amenée à disparaître. Quel sens y aurait-il alors à défendre les principes d’une Constitution dont les générations futures seraient fières si c’est pour leur léguer un pays inhabitable ? Dans ce contexte, privilégier la contribution des énergies renouvelables dans l’offre énergétique est une priorité. En plus de raisons évidentes telles que la réduction des gaz à effet de serre et la protection des ressources naturelles, cette industrie est également créatrice d’emplois à un moment de son histoire où la Tunisie en a tant besoin.

L’offre énergétique de la Tunisie est dépendante à près de 95% du gaz naturel dont le pays importe plus de la moitié, puisqu’il est devenu déficitaire dans ce domaine depuis 2001.Ce combustible fossile peut être supplémenté par la production de biogaz, obtenu à partir de la méthanisation des déchets organiques (déchets provenant de matières d’origine animale ou végétale). Il s’agit d’un processus de décomposition de matières organiques par des bactéries qui agissent en l’absence d’air. Le biogaz ainsi obtenu peut être transformé en chaleur, en électricité et en carburant pour véhicules.

Ce procédé est particulièrement pertinent dans un pays qui produit 1.7 million de tonnes de déchets organiques par an soit 70% du total des déchets générés. La crise aiguë de gestion des déchets que subit la Tunisie démontre clairement la rentabilité de la production de biogaz ; d’autant plus qu’on sait que les neuf grandes décharges contrôlées du pays arrivent à saturation. Le chaos postrévolutionnaire a entraîné le développement de décharges sauvages et anarchiques, aggravant une situation déjà critique sur l’environnement. Toutes les tentatives de mettre en place de nouveaux dépôt sou même de continuer l’activité sur les anciens sites a suscité le mécontentement des citoyens qui n’acceptent plus la présence de ces « poubelles à ciel ouvert » près de leur lieu de vie. La situation de Guellala, au sud de l’île de Djerba, où les habitants ont empêché les employés d’accéder à la décharge pendant des mois en est l’exemple le plus connu.

De ce fait, la production de biogaz permettrait non seulement de pallier notre déficit énergétique mais aussi de résorber ces conflits sociaux par la réduction de la quantité de déchets entreposés dans les décharges. Car il est important de noter que le résidu des digesteurs anaérobiques, nécessaires à la production de biogaz, peut également être valorisé par la technique du compostage. Ce processus biologique permet la conversion du sous-produit de la biomasse en compost qui peut servir d’amender les sols tunisiens si pauvres en matière organique. Ainsi deux techniques de récupération de ressources sont entremêlées l’une pour la production de biogaz et la seconde pour le compost afin de créer des richesses pour le pays.

L’Etat profiterait de cette « manne organique » puisque les subventions énergétiques coûtent aujourd’hui près de 7 milliards de dinars, au moment où les recettes de l’Etat s’élèvent à 20 milliards de dinars. La politique énergétique de la Tunisie a été élaborée il y a plus de trente ans lorsque le pays disposait de ressources abondantes en gaz naturel, ce qui n’est aujourd’hui plus le cas. Cela est d’autant plus préjudiciable lorsque l’on sait que le prix du gaz a quintuplé en l’espace d’une dizaine d’années et que l’Etat subventionne la filière en continu afin de garantir un prix accessible pour les consommateurs. Une production substantielle de biogaz permettrait à l’Etat de réduire de manière conséquente les subventions énergétiques. L’argent ainsi économisé pourrait être investi dans des secteurs où il fait cruellement défaut tel que l’éducation, la recherche scientifique et la sécurité. C’est pourquoi tant les institutions privées que publiques doivent investir dans cette industrie productive.

A cet égard, la formation de partenariats public-privé (plus communément connue sous le nom de « Public Private Partnership » ou PPP) semble être la voie la plus prometteuse. Alors que des organismes privés investiraient dans la mise en place de technologies telles que les digesteurs anaérobiques, la participation des institutions étatiques se ferait sous la forme de tarif de subventionnement. Ces derniers pourraient prendre la forme de tarifs préférentiels ou de système de tarif de rachat, mais aussi d’achat de véhicules alimentés au biogaz pour les municipalités (taxis, camions de ramassage d’ordures etc.)

Le dernier argument, et non des moindres, c’est la création d’emplois. Selon l’étude « Energies propres et chômage des jeunes dans le Maghreb » effectuée par la chercheuse allemande en sciences politiques à l’université de Berlin, Isabel Schäfer, le secteur des énergies renouvelables pourrait créer entre 7000 et 20000 emplois en Tunisie. L’industrie du biogaz serait un des secteurs des énergies renouvelables offrant le plus grand nombre d’emplois à haute, moyenne et basse qualification. En outre, les employés de ramassage des déchets se sentent en marge de la société comme l’illustre leurs grèves à répétition. Plus qu’une augmentation de salaire, ces techniques pourraient valoriser la perception qu’ils ont de leur travail. La productivité, qui fait cruellement défaut à notre pays, n’en serait que positivement affectée.

Plus qu’une technique, l’industrie du biogaz est un grand projet de société susceptible d’avoir un impact positif sur chacune de ses composantes: environnementale, sociale et économique. L’historien Stephen Ambrose disait qu’au « XIXème siècle nous avons consacré tous nos efforts à explorer la nature. Au XXème siècle, à la contrôler et maitriser. »Il ne tient qu’à nous pour que le XXIème siècle soit celui où l’on consacre nos efforts pour la restaurer.

S’en sortir grâce à nos ordures ?
Tag(s) : #Industrie
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