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«Les bons payeurs ne doivent pas payer pour les fraudeurs» (Habiba Louati)

  • Habiba Louati, directrice générale des études et de la législation fiscale au ministère de l’Economie et des Finances, n’est pas la plus appréciée parmi ses confrères et consœurs dans les cercles fermés des milieux d’affaires. Elle est plutôt perçue comme étant la dame de fer, la véritable maîtresse des lieux, la goule qui se met à table usant des lois et des procédures pour leur imposer des mesures drastiques et autoritaires, lesquelles mesures, d’après eux, desservent l’économie nationale.

    Pourtant, elle, elle se voit plutôt en tant que haut commis de l’Etat respectueux des lois et veillant aux intérêts des contribuables et des équilibres fondamentaux de l’économie qui a besoin d’un budget recueillant ses ressources, principalement des impôts pour exister.

    Entretien.

  • » Une fois la charge fiscale allégée, je suis sûre que l’investissement reprendra son envol.

    WMC : Pourquoi n’êtes-vous pas appréciée par la communauté d’affaires en Tunisie? En tout cas, ce sont des réflexions assez critiques émises à votre égard dès qu’il s’agit de fisc et d’impôts…

    Habiba Louati: Vous trouvez, je n’en ai jamais eu l’impression. Je suis plutôt soucieuse des intérêts de l’Etat tunisien que je sers. Je suis très rigide quant à l’application de la législation et très réticente quant à l’octroi d’avantages fiscaux sans contrepartie.

    Les opérateurs privés veulent des avantages fiscaux. Nous en avons beaucoup accordé. En contrepartie, est-ce que les investissements ont suivi? Ce n’est pas sûr.

    Les opérateurs sollicitent systématiquement des avantages, mais il faut bien qu’ils commencent par investir pour que nous, ensuite, nous leur accordions plus de privilèges.

    Vous appelez les opérateurs privés à investir avant de profiter des incitations? Y a-t-il un cadre légal qui leur garantit d’en bénéficier après l’investissement?

    Nous avons déjà un éventail d’avantages fiscaux consacrés aux investisseurs, mais il y en parmi eux qui appellent à ce qu’ils soient multipliés ou spécifiques à un secteur plutôt qu’à un autre. Je refuse de me soumettre à ce diktat. Je pense que nous ne pouvons pas accorder à un secteur plus de privilèges qu’à un autre. Ce sont les performances de l’activité économique en question et son apport pour l’Etat et l’économie nationale qui doivent être déterminantes en la matière.

    Quelles sont les plus-values et les richesses qu’elle pourrait engendrer? Nous devons, en tant que décideurs publics, réaliser de visu l’impact sur terrain avant de nous engager encore plus dans les politiques d’incitations.


    Quelle est votre approche légale en tant qu’administration dans ce sens?Ce que je vois est que les opérateurs privés réclament régulièrement des avantages sans contrepartie. Ce qu’il faut, c’est tout d’abord réaliser et puis revendiquer.

    Il ne s’agit pas de légiférer. Nous avons d’ores et déjà mis en place un arsenal d’avantages fiscaux. Ceux qui viennent en demander plus ne peuvent pas en avoir sans avoir auparavant démontré l’efficience de leur investissement et son bien-fondé.

    Quelle est votre vision de l’équité entre simples contribuables et entre acteurs économiques?

    Pour moi, l’équité revient à une bonne répartition de la charge fiscale. Chacun doit payer en fonction de ses facultés contributives. Le problème est que nous ne sommes pas arrivés à atteindre ces objectifs pour plusieurs raisons et principalement à cause des fraudeurs qui restent impunis. Cette impunité résulte des limites des moyens mis à la disposition de l’Administration. Nous ne pouvons pas appréhender tout le monde, du coup, le couperet de la loi tombe sur un individu ou une entreprise plutôt qu’un ou une autre. Les autres échappent au système, nous surtaxons les bons payeurs pour financer le budget de l’Etat.


    Quelles conséquences ces pratiques ont-elles sur les recettes fiscales?L’iniquité est que les bons payeurs respectant la loi payent pour les fraudeurs. Si nous arrivons à mieux cerner ces derniers, car nous avons quand même un régime équitable, nous pouvons en réduire le nombre. Nous avons un listing des fraudeurs mais nous manquons de moyens humains et matériels pour les sanctionner, et il me paraît extrêmement injuste que les secteurs structurés payent pour ceux-là. Le but est aujourd’hui d’encourager toutes les activités organisées qui apportent un plus à l’économie.

    Je suis décidée à augmenter les recettes fiscales quand bien même nous souffrons d’une crise économique depuis le 14 janvier 2011. Cela découle de l’emploi public ou privé, ce qui revient à dire qu’il y a des impôts supplémentaires qui vont renforcer encore les finances de l’Etat.

    Il y a aussi la TVA résultant de plus de consommation et ainsi de suite. Résultat, une plus grande répartition de la charge fiscale plaide pour un allègement du poids des impôts sur les uns et les autres.

    L’informel et le formel, c’est aussi une grande injustice dans le système fiscal en Tunisie mais il y a pire: le commerce parallèle et la corruption au sein de l’Administration fiscale elle-même.

    Nous avons exclu 68 métiers du régime forfaitaire et les avons introduits dans le régime réel. Je ne peux pas me prononcer à propos de la corruption de l’Administration fiscale. Par contre, le commerce parallèle est en train de massacrer toute l’économie du pays et nous le savons tous.

    Mais un système politique instable ne peut pas prendre des sanctions draconiennes maintenant et tout de suite. Nous gérons au jour le jour jusqu’à ce qu’il y ait un gouvernement stable pour décider des punitions visant à mettre un terme à ces pratiques ruineuses pour notre économie.


    Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que la problématique sécuritaire prévaut sur tout le reste. Un gouvernement provisoire ne peut pas prendre des mesures de réformes structurelles.En matière de législation, la loi de finances complémentaires pour 2014 a introduit des mesures dissuasives pour contrer le commerce parallèle et le grand banditisme. Nous pouvons aller jusqu’à la confiscation des biens mal acquis.

    Mais il y a la continuité de l’Etat…

    Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais toujours est-il qu’un gouvernement chargé d’une mission temporaire ne peut pas s’engager sur le fond des choses.

    Lors de votre intervention au Forum sur la réforme fiscale organisée par votre ministère, vous avez parlé de différentes interprétations de la loi selon les décideurs du moment. Personnellement cette vision m’inquiète car elle met les contribuables à la merci des interprétations de l’administration.

    La loi peut être interprétée de différentes manières. Mes interprétations de la loi fiscale sont différentes de celles de mon prédécesseur. J’ai trouvé qu’elles ne correspondaient pas à l’esprit du législateur. Si les textes ne sont pas clairs, nous nous référons à l’esprit du législateur. Je l’ai réalisé dans mon exercice et je me suis autorisée à transformer certaines dispositions en notes communes qui correspondent plus à la réalité pour uniformiser les décisions prises par l’administration fiscale dans le traitement des dossiers qui leur sont soumis.

    Comment les réformes fiscales pourraient-elles inciter à l’investissement à l’échelle nationale ou internationale?

    L’une des qualités les plus importantes de notre système fiscal est la transparence et la simplicité. Notre prochain défi est l’élargissement de l’assiette fiscale pour arriver à diminuer les impôts et à alléger leurs taux sur les “bons payeurs“. Si vous êtes un investisseur et que vos impôts sont allégés, vous réinvestissez, et c’est le but.


    L’année dernière, nous avons réduit le taux de l’impôt sur les sociétés qui est passé de 30 à 25% et cela a été remplacé par l’impôt sur la distribution pour pousser les opérateurs privés à ne pas redistribuer les bénéfices. Nous voulions faire en sorte que ces entreprises réinvestissent les 5% et non les distribuent en tant que dividendes.

«Les bons payeurs ne doivent pas payer pour les fraudeurs» (Habiba Louati)
Tag(s) : #Commerce
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