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Tunisie: Vérités et mensonges sur le gaz de schiste

En dépit de la médiatisation des polémiques sur le gaz de schiste, que sait-on vraiment aujourd’hui sur les méfaits de l’exploitation de ce combustible ? Où en sont arrivées les négociations du ministère de l’industrie tunisien avec Shell ? Qu’en est-il des 742 puits qui devraient être creusés entre Kairouan et Sfax sur une durée de 50 ans ? D’éventuelles recherches et exploitations du gaz de schistes seraient-elles à l’origine de secousses séismiques réitérées et inhabituelles, tel qu’il a été affirmé par certains médias ?

En effet, dans le cadre des polémiques sur l’exploitation de ressources de gaz de schiste tunisien, des associations avaient invoqué, il y a deux ans, la catastrophe environnementale que provoquerait une telle entreprise. Dernièrement l’accent a été mis sur la possibilité d’effets séismiques, ce qui a donné une dimension apocalyptique à l’exploitation de ce gaz.

Mais avant de s’aventurer dans un tel problème, il faut savoir si l’extraction du gaz a vraiment commencé en Tunisie.

Asma Mdelgi, chercheuse et présidente de l’association AgriEcoForest, nous affirme qu’une opacité totale règne sur ce sujet, malgré le fait que le gouvernement ait donné son accord de principe à Shell. Il est étonnant qu’aucune étude d’impact n’ait jamais été effectuée jusqu’à aujourd’hui. Excepté le nombre de puits de forage qui s’élèvera à 742 entre Kairouan et Sfax, il n’y aurait aucune information sur les modalités de travail, ni de la part de Shell ni de la part du gouvernement. Mdelgi est néanmoins convaincue, à travers plusieurs indices, que la phase de prospection est déjà commencée, phase qui peut facilement déboucher en catimini sur l’exploitation. Lors d’une conférence de presse, elle avait posé une question cruciale au représentant en Tunisie du géant pétrolier, à laquelle il n’a pas su répondre:

Comment savez-vous qu’il y aura exactement 742 puits de forage si vous n’avez jamais fait de prospection ?

Or, le fait que la phase de prospection soit commencée impliquerait nécessairement, selon certains, l’utilisation de la fameuse méthode controversée de la fracturation hydraulique. Cette méthode consiste à fissurer les roches avec injection de grandes quantités d’eau et de produits chimiques à très haute pression, pour disloquer des formations géologiques et libérer les hydrocarbures. Elle s’est révélée nocive pour l’homme et la nature, tellement nocive qu’elle a été interdite en France en 2013. Certains affirment également qu’il est mensonger de dire que la prospection se fait sans fracturation hydraulique. En France, le leader du parti écologiste, Pascal Durand, avait critiqué avec virulence ce genre de « mensonges éhontés » :

« Il n’y a actuellement, nulle part dans le monde, dans aucun labo de recherche, la capacité d’aller fracturer (…) les minéraux pour aller chercher les gaz de schiste en dehors du procédé de fracturation hydraulique. »

Mais ce genre de propos fustigé par Durand, s’il étonne lorsqu’il est véhiculé par un gouvernement républicain qui se réclame de gauche en France, peut être considéré comme normal dans une Tunisie en période de transition, une Tunisie où aucune étude n’a été commandée jusqu’à aujourd’hui à l’Agence nationale de protection de l’environnement, où le ministère de l’environnement n’a plus de ministres a temps plein et où une ambiguïté législative règne sur le domaine des énergies.

Le géant pétrolier Shell, selon Asma Mdelgi, a un lobbying fort dans plusieurs médias et institutions tunisiennes. Et lorsqu’on voit la prestation écologique de Shell au Niger, on a le droit d’être méfiants.

Il y a donc une certitude pour la présidente d’AgriEcoForest : la fracturation hydraulique a bien eu lieu et le mal est fait.

D’ailleurs, selon elle, des exemples concrets et des rapports scientifiques sérieux affirment que cette méthode provoque à la fois des dommages environnementaux graves et des secousses séismiques. Les quatre fortes secousses enregistrées dans la région de Monastir pourraient venir du démarrage de la fracturation dans la région de Kairouan.

Plusieurs rapports étrangers confirment le danger de la fracturation hydraulique pour l’homme et tissent une relation entre ce genre d’activités et les séismes. Ces preuves sont citées par des journaux réputés sérieux tels que Le Monde ou le New-York Times.

En Grande-Bretagne, un forage à la recherche de Gaz de Schiste avait provoqué des secousses séismiques dans la région du Lancashire. Aux Etats-Unis, dans la ville de Prague dans l’Oklahoma, la même chose s’est passée en 2011. Un article du monde a révélé en mars 2013 que :

« Dans une étude publiée mardi 26 mars par la revue Geology, Katie Keranen (Université de l’Oklahoma) et ses coauteurs de l’université Columbia à New York ont analysé la séquence d’événements ayant précédé et suivi le séisme. Les auteurs concluent à un lien causal entre l’injection de fluides de fracturation usés dans le sous-sol et la survenue du tremblement de terre. Non loin de Prague, un ancien gisement pétrolier, désormais épuisé, est en effet utilisé depuis plusieurs années comme site d’injection d’eaux souillées issues d’opérations de fracturation hydraulique – la technique d’exploitation du gaz de schiste. »

L’article ajoute :

« En 2012, au congrès annuel de la Société géologique américaine, l’US Geological Survey (USGS) a présenté des travaux montrant qu’en Oklahoma le nombre annuel de séismes de magnitude supérieure à 3 a été multiplié par 20 entre 2009 et 2011, par rapport au demi-siècle précédent. Selon l’USGS, l’Arkansas, le Texas, l’Ohio et le Colorado, où se déroulent des opérations d’injection ou de fracturation, connaissent une situation comparable. »

Le New-York Times avait, quant à lui, publié en mars 2013 des documents confidentiels de l’agence de protection de l’environnement américaine qui montraient que « les eaux rejetées par les forages de gaz de schiste sont radioactives à des taux qui peuvent atteindre 1.000 fois les limites autorisées pour l’eau de boisson. »

Cela dit, une source de Tunisie Numérique à l’ETAP (Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolière), contredit avec ironie ces études qui auraient dû être soumises à l’esprit critique des journalistes avant d’être publiées. Pour lui, ce genre d’étude est très influencé, voire même commandé, par les différents lobbies énergétiques qui se concurrencent.

« Les journalistes n’ont aucune connaissance de ce domaine. Cela ne les empêche pas de sortir des informations totalement erronées en s’appuyant sur des pseudo-preuves qu’ils ne comprennent pas. J’aimerai tellement qu’il y ait des journées de formation des journalistes où on les conduirait vers des puits de gaz et de pétrole, où ils verraient sur place comment ça marche vraiment. »

Lorsque nous contactons Shell Tunisie et le ministère de l’industrie, les responsables nient laconiquement toute activité. Malgré cela, les informations contradictoires ne s’arrêtent pas de se propager. Par exemple outre Shell, la société Perenco aurait commencé des forages dans le sud sous le règne de Ben Ali en 2010 et qui se sont poursuivis après la révolution. Immédiatement après l’évocation de cette information par certains médias, le ministre nahdhaoui du gouvernement Jébali, Lamine Chakhari, ainsi que Perenco ont catégoriquement démenti.

Selon Ridha Bouzouada, géologue et directeur des hydrocarbures à l’ETAP, il y a eu beaucoup de désinformations et de fantasmes sur cette l’affaire de la part des médias:

« Rien n’a été signé ni avec Shell ni avec Perenco ni avec aucune société, donc rien n’a commencé. » affirme-t-il.

Plus clairement, Shell a déposé une demande officielle de prospection que le gouvernement Jébali avait, il est vrai, ratifié. A présent, la société est en train de réunir les documents nécessaires pour signer un contrat de 5 ans de prospection sur seulement 2 puits et non pas 742 comme il a été dit par certains. Si les résultats se révèlent concluants, Shell devra redéposer une demande afin de passer à la phase d’exploitation. Pour l’instant, le dossier de Shell est prêt mais aucun contrat n’a été signé avec le ministère parce que la situation politique est fluctuante. Ceci veut dire qu’il n’y a jamais eu ni prospection ni extraction par Shell, malgré toutes les affirmations qui crient au complot.

Quant à Perenco, elle est présente sur deux endroits du sud depuis 1983: Franig et Bagel. Elle y exploite exclusivement le gaz naturel.

Lorsque nous l’interrogeons sur les modalités de la recherche du gaz de schiste, Ridha Bouzouada nous assure qu’elle peut très bien se faire sans fracturation hydraulique. C’est une sorte de prélèvement qui se fait en profondeur sur les roches, avant une analyse dans les laboratoires. Mais, prudent, il insiste :

« Encore une fois, cette phase n’a même pas commencé parce que Shell et le gouvernement sont dans des négociations qui risquent de durer longtemps. Vous imaginez bien qu’en tant que responsable, si je vous mens sur cette affaire, je risque d’aller en prison! »

Finalement toute cette confusion a l’air d’être née d’un climat de méfiance entre une société civile qui veut la transparence totale d’un côté et un gouvernement transitionnel qui communique mal, de l’autre. Une absence de stratégie énergétique claire, une politisation de l’affaire, des risques environnementaux réels liés à la fracturation hydraulique, l’insensibilité des responsables aux questions de l’environnement et la mauvaise réputation des compagnies pétrolières ont envenimé la situation de ce dossier complexe.

Ceci n’empêchera pas les médias et la société civile de continuer à suivre de près le développement de cette affaire car, malgré leurs prestations perfectibles, ils devront certainement être les garde-fous contre toutes dérives environnementales et financières.

Tunisie: Vérités et mensonges sur le gaz de schiste
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